La découverte d’un diabète de type 1 (ou de type 2) est souvent un séisme intérieur. Du jour au lendemain, la vie bascule sous le signe de la contrainte. Injections d’insuline (ou prise de médicaments), contrôle permanent de la glycémie, alimentation surveillée… tout semble dicté par la maladie. Face à ces exigences, il est normal de ressentir de la révolte, de la tristesse ou de la peur. « Pourquoi moi ? » Bien des patients se posent cette question, surtout au début.
La routine du diabète peut en effet être éprouvante. Il y a les jours “sans”, où l’on voudrait tout oublier et faire comme si de rien n’était : manger ce qu’on veut sans calculer, partir à l’aventure sans sac de matériel médical. Et puis il y a la réalité qui rappelle à l’ordre : le capteur qui sonne, l’injection à ne pas oublier, le corps qui ne laisse aucun répit. Ce va-et-vient entre le désir de liberté et la discipline imposée peut créer un profond sentiment d’épuisement. Parfois, on parle même de « burn-out du diabète » pour décrire ces moments où l’on n’en peut plus de devoir tout contrôler.
Et pourtant, avec le temps – et parfois avec un accompagnement adapté – un autre rapport à la maladie peut émerger. De nombreux patients racontent qu’ils ont, petit à petit, cessé de voir leur diabète uniquement comme un ennemi à combattre. La contrainte fait place à une collaboration : on apprend à écouter son corps, à anticiper ses besoins et à reconnaître ses propres limites. On passe du « subir » au « vivre avec ». Ce cheminement, bien réel, est au cœur d’un concept appelé « autonormativité », développé par l’auteur et philosophe français Philippe Barrier.
La notion d’autonormativité suggère qu’à force de s’approprier sa maladie, chacun peut définir sa propre « norme de santé ». Autrement dit, trouver un équilibre qui lui est personnel, harmonieux, entre son diabète, son traitement et sa vie quotidienne. Ce qui était imposé de l’extérieur (les objectifs médicaux, les règles strictes) devient peu à peu un choix intérieur : ma santé, mon bien-être, mes repères. On n’est plus seulement « un diabétique » suivant un protocole : on redevient une personne à part entière, qui intègre le diabète à son identité, à sa manière.
Cette transformation n’est pas qu’une affaire de technique ou de volonté – elle engage aussi profondément le psychisme. La pensée psychosomatique, qui étudie les liens entre l’esprit et le corps, nous rappelle combien l’un et l’autre sont imbriqués. Apprendre à mieux vivre son diabète, c’est aussi apprendre à reconnaître et exprimer ce que l’on ressent. Stress, peur de l’avenir, sentiment d’être différent : si ces émotions restent enfouies, la gestion du traitement peut devenir encore plus lourde. À l’inverse, quand on se sent soutenu et apaisé intérieurement, la maladie devient plus « silencieuse », plus facile à apprivoiser.
La route vers un rapport apaisé à la maladie est jalonnée d’essais, d’erreurs, de victoires et de rechutes – c’est normal. Chaque personne trace son chemin unique. Vous avez le droit d’avoir des moments de doute ou de fatigue : cela ne remet pas en cause votre courage. L’important est de garder en tête que ce cheminement est possible, petit pas par petit pas.
Parfois, un regard extérieur bienveillant peut aider à avancer sur ce chemin. Se faire accompagner par un psychologue, ce n’est pas un signe de faiblesse – au contraire, c’est un pas de plus vers l’autonomie et le bien-être que vous méritez. En mettant des mots sur votre vécu et vos paradoxes, vous pouvez peu à peu transformer cette contrainte en une expérience qui vous renforce. N’hésitez pas à faire ce premier pas : vous n’êtes pas seul(e) dans ce parcours, et il est toujours possible de cheminer vers plus de liberté intérieure.
Source : Philippe Barrier – L’autonormativité du patient chronique : un concept novateur pour la relation de soin et l’éducation thérapeutique – 2008
